Le bruit la réveilla ou était-ce le choc ? En tout cas, le monde n’était pas à l’endroit. L’angle de 90 degrés n’était pas celui qu’elle avait l’habitude d’utiliser. Le contact froid avec le sol ainsi que la vision de pieds lui indiquèrent que ce n’était pas le monde qui avait un problème, mais elle. La position horizontale n’était pas la bonne et Rory tenta de changer cela en se redressant. Une voix retentit, lointaine comme si elle avait été transportée par une bourrasque. Quelque chose clochait. Plusieurs choses clochaient. Son corps entier tentait de retrouver la sensation familière et rassurante du sol. La brune grogna avant de se passer la main sur les yeux. Un réflexe qui ne servait pas à grand-chose, mais elle espérait que ça puisse lui éclaircir la vision. Raté. Encore une fois, la voix retentit. Comme par réflexe, Rory se mit debout pour affronter cette personne. Aucune idée de son identité. À vrai dire, les traits de son visage n’étaient pas très nets.

– Oui.

A quoi répondait-elle ? Aucune idée. La personne s’afféra à l’examiner alors que Rory ne se concentrer que sur deux choses : rester droite et savoir où elle était. La bonne nouvelle, c’est qu’elle se rappelait son identité et c’est par ce biais que la lumière fut : le vaisseau, la cryo, la mission. C’était la première fois qu’elle subissait la cryostase. Toutes ses missions précédentes n’avaient pas nécessité de telles mesures. Rory hocha la tête à plusieurs reprises, toujours en répondant à des questions dont elle était incapable de se rappeler après coup.

– Une cuite.

On venait probablement de lui demander son ressenti. La cuite était un euphémisme. Elle avait l’impression d’avoir bu outre mesure avant de se faire droguer puis rouler dessus, redroguer avant de faire marche arrière sur son corps. Dire que certains aimaient ça. Pas le temps de s’appesantir sur ce type de réflexion, elle devait se concentrer sur son corps. Son estomac était tout aussi disposé à riposter que le reste de son corps. Hors de question. Lorsque le silence fut autour d’elle, elle comprit que c’était le moment de partir. Partir où ? Peu importait, elle ne souhaitait pas rester ici. Rory se dirigea vers la sortie avant de se retrouver confronter à des couloirs à n’en plus finir. Si elle avait été un tant soit peu lucide, elle aurait demandé quoi faire au médecin. Oui, parce que c’était sûrement un médecin. Tant pis. Elle s’aventura, titubant par moment, dans les couloirs à la recherche d’un point de repère.
Elle passa une intersection et… nouveau choc. Cette fois, il était plutôt amorti et elle était restée debout. Son regard chercha l’origine de la collision et distingua une forme humaine, féminine, blonde, … Elle n’eut pas vraiment le temps de se faire la mise au point que sa nausée prit le dessus. Aucun avertissement et malgré la main qui tenta de retenir le contenu de son estomac, celui-ci finit sur la personne floue. Dans un coin de son esprit, elle se demanda bien ce qu’elle pouvait bien vomir vu son régime récent…  

– Ok… ok…

Dit-elle en reprenant sa respiration et en s’appuyant sur l’épaule de l’inconnue – de cette même main qui avait échoué à faire barrière.

– Ça valait bien la peine… de me foncer dedans.

Sans cette rencontre brutale, elle serait sûrement encore en train de se balader, l’estomac toujours à la bonne place. Sa voix semblait aussi nette qu’après une bouteille de vodka. Bordel, la cryostase était vraiment pire qu’une soirée dans une rave party.

– Mais ça va, merci.

Elle lui avait demandé ? Sûrement que non. Un nouveau haut-le-cœur la saisit, mais rien de plus ne sortit. Tant mieux. Surtout pour son interlocutrice. Rory se détacha de la personne ou cette dernière la repoussa, encore une fois, elle avait du mal à faire le point sur ce qu’il se passait réellement. Elle savait juste que son épaule rejoignit le mur adjacent pour se caler et s’assurer un équilibre. Croisant les bras comme pour donner le change en arborant un air tout à fait sérieux et naturel. C’était plutôt dissonant avec la situation.

– Quoi de neuf?

Essaya-t-elle sur un ton qui se voulait naturel alors qu'elle essayait de ne pas trop cligner des yeux pour rendre son environnement plus concret. Ca n'avait aucun sens après ce qu’il venait de se passer.

Les signes vitaux sont bons. La machinerie est rodée. Un gaz de produits chimiques flotte dans la capsule initiant le réveil. La capsule se descelle et l'air recyclé de la navette entre. Selene bat des yeux. Ce n'est pas son premier voyage. Ne pas ruché est la clé. Elle garde les yeux fermés le temps de prendre conscience de son corps et d'en reprendre le contrôle. D'abord les extrémités, faire circuler le sang même si les capsules sont censées empêcher sa coagulation. Bouger les orteils et les doigts puis reprendre possession des muscles les uns après les autres. D'abord le mollet, les cuisses, les bras et avant-bras, les épaules. Bien respirer pour réhabituer les poumons à l'air recyclé et évacuer peu à peu les substances qui trainent pour que la cryo se passe bien. Les capsules ne sont pas ouverte au son d'alarme et avec des électrochocs c'est donc une arrivée à destination. Elle finit au bout d'un quart d'heure à ouvrir les yeux. Se redresser, lentement d'abord pour ne pas avoir de vertige. Avec la force de l'habitude on apprend les gestes à faire et ne pas faire. Elle glisse ses jambes dans le vide. Sa capsule est en hauteur, elle note que celle en dessous est déjà vide. Probablement celle du chef des militaires. D'autres sont encore en sommeil et d'autres sont en train de s'ouvrir. Il faut bouger, les places à la salle de bain et aux toilettes vont être chères. Elle agrippe la petite échelle et descend. Le sol dut sous ses semelles. Elle étire ses bras au dessus d'elle et dérouille ses épaules. Première mission : signaler qu'elle est dispo au chef. Tout en commençant à marcher elle pianote sur son PID à son poignet. Voilà ça c'est fait. il y-aura probablement réunion rapide une fois que tous les officiers seront réveillés. En profiter pour aller au quartier militaire et récupéré son uniforme et un savon pour se doucher.

Et aussi boire une tite gorgée, pour célébrer l'arrivée en un seul morceau, lui dit la petite voix dans sa tête.

Elle progresse dans les coursives, réfléchissant aux premières tâches que les Militaires vont probablement devoir gérer. C'est alors qu'au détour d'un cours elle est percutée de plein fouet par quelque chose. Enfin quelqu'un. Des cheveux longs et bruns viennent lui cacher la vue. C'est alors qu'elle entendit l'espace d'une micro seconde le bruit caractéristique d'une régurgitation. Ca rentrait partout. Son T-shirt est trempée et cela glisse par le col sur sa peau. C'est dégoutant. Elle avait rien contre les malades mais putain pas sur elle pas comme ça ! Avant même qu'elle ait pu réagir la femme se redresse et commence à l'invectiver. Mais c'est elle qui est couverte de vomi et elle s'excuse même pas ??? C'est quoi ce délire. La fille à l'air complètement à l'ouest. Devant les propos incohérent de la brune, la colère montante de Selene commence à redescendre, son instinct protecteur reprenant le dessus. Elle attrape la jeune femme par ses deux bras et la recule un peu puis lui retire les cheveux du visage pour lui passer dans le dos. Elle s'efforce de lui faire un sourire genre c'est pas grave. Son étrange interlocutrice finit par s'avachir contre le mur. Apparemment elle n'avait pas bien vécu la sortie de cryo ... ou alors elle avait déjà bu plus de whisky que la lampée qui l'attendait dans son placard.

- Major Selene Constantine. Ravie de votre connaissance même dans ces circonstances peu communes

La militaire réfléchissait. Elle pouvait pas la laisser là au risque qu'elle tourne de l’œil comme quelqu'un qui a trop bu en boite et s'effondre dans le caniveau. D'un autre côté son corps demandait son infime dose. Selene ferma les yeux un instant et serra le poing pour se reprendre. D'abord La jeune femme.

- Tu peux pas rester comme ça. Ca ressemble à un contrecoup de la cryostase. Je vais t'emmener à l'infirmerie.

Selene est passé au tutoiement d'une voix douce. C'est toujours plus simple pour les gens qui ne vont pas bien de se laisser aider quand on instaure une certaine proximité.

- je vais passer mon bras dans ton dos pour te soutenir. Appuies toi sur moi, ça va aller.

La Militaire sait d'expérience qu'il vaut mieux prévenir avant de faire quelque chose, la personne ne sera pas surprise et moins rétive. Avant de passer son bras derrière son étrange interlocutrice, elle allume son PID et affiche le plan du vaisseau pour se repérer. Il s'agirait de ne pas se perdre. Heureusement elles sont au bon niveau. il va quand même falloir parcourir un certain nombre de coursive.

- Dis moi si tu as besoin qu'on fasse une pause.

la blonde Passe doucement son bras dans le dos de la brune avec l'assurance et la délicatesse de quelqu'un qui a déjà fait cela auparavant puis fait quelques pas, calant sa démarche sur celle de la malade.

Jets de dés
Esquive du vomi -50 : 99

Le contact ne la ravit pas, mais elle se demande surtout qu’est-ce que c’était ? Le contraste entre cette impression d’étau sur les bras et ses cheveux qui se replacent tout seul n’avait aucun sens. Un effet de tangage la saisit avant qu’elle ne reprenne pied. Un petit coin d’elle se demanda si l’espace n’aurait pas été mieux pour ce genre de problème… Flotter… Douceur… Rory poussa un grognement devant sa propre dérive intellectuelle pour se concentrer sur le présent. Le nom de l’obstacle humain résonna quelque peu dans son esprit, rebondissant sur les parois endolories de chaque neurone. La seule pensée qui lui vint c’était qu’il s’agissait d’une militaire bien trop optimiste au vu des circonstances, le reste n’eut pas l’occasion d’intégrer sa mémoire et s’échappa aussi rapidement de sa tête que le contenu de ses tripes quelques secondes plus tôt. La réaction non verbale du Major réussit à percuter sa conscience toutefois. Peut-être parce qu’elle avait les yeux fixés sur le bas de son corps à ce moment et surprit le poing serré de son interlocutrice. Néanmoins, la frustration ne se ressentit pas dans sa voix. Qu’est-ce que les humains étaient compliqués… Pas étonnant qu’elle préfère les machines. D’autres paroles vinrent rejoindre le néant d’incompréhension qui l’habitait. Rory fixait son interlocutrice, concentrée sur sa propre attitude. Comme si vouloir garder la face avait encore une importance après ce qu’il venait de se passer.

Mais nooon.

Le non s’échappa du bout de la langue, elle n’était même pas sûre de l’avoir entendu raisonner au-delà de son esprit. En tout cas, il n’y eut aucune réaction de la part de la blonde. Effectivement, il n’avait pas dû arriver à un niveau sonore assez important pour qu’on s’en préoccupe ou Selene en faisant simplement fi. La brune fronça les sourcils devant le rapprochement. Encore une fois, qu’est-ce qu’il se passait ?! Rory n’était plus dans un état statique, mais bien en train de se déplacer. Les paroles prononcées plus tôt arrivèrent enfin dans la zone de compréhension.

– Stop !

Cette fois, sa voix porta plus haut que la sortie de ses lèvres. La brune se détacha pour aller s’appuyer sur un mur, prenant de longues inspirations. Il y avait un truc dans sa caboche qui avait réellement besoin d’oxygène.

– Je vais bien. J’ai juste besoin de quelques instants.

Vraiment ? Un long soupir s’échappa alors qu’elle appuyait maintenant sa tête contre la paroi de la coursive. La fraicheur du matériau lui faisait un bien fou. S’il avait pu se coller le corps entier contre celui-ci telle une étoile de mer sur un rivage, elle l’aurait fait. Alors que la fraicheur envahit sa joue, elle réalisa que c’était ce qu’elle était en train de faire : s’écraser contre le mur. Rory se ressaisit et s’écarta, continuant l’exercice de respiration entrepris plus tôt. Elle releva la tête pour fixer le plafond. Trop rapide. Une nausée violente lui parvint. Réussissant à la réprimer après quelques secondes, elle fixa enfin la mystérieuse personne. Son regard un peu plus lucide se porta d’abord sur les traces de vomi. C’était elle ça ?

– Y'a plus sexy.

Dit-elle à voix haute alors que ce constat sarcastique aurait mieux fait de rester enfermé dans les brumes de son esprit. Faisant un vague geste de la main pour passer outre sa propre connerie, elle ajouta :

– Sin.

Autant qu’elle sache à qui appartenait l’ADN qui jonchait son haut.

– Sinley. Rory. Rory Sinley.

Ça n’aurait pas dû être aussi compliqué… Quant à son grade ou autre fonction, ça serait pour un autre jour. Son cerveau commençait seulement à retrouver un semblant de fonctionnement, il ne fallait pas trop en lui demander pour l’instant. Du moins, elle l’espérait. Sa fonction ici était encore obscure, même pour elle, elle savait cependant qu’elle n’avait pas à répondre aux militaires. De fait, si Selene – tiens, le prénom avait réussi à s’intégrer – lui demandait de faire un tour de pont en courant, elle pourrait bien aller se faire voir en cryostase. Rory passa ses mains sur son visage pour le masser, retrouvant un peu des sensations normales.

– Pas besoin d’infirmerie. J’ai passé assez de temps, encapsulée, à ne pas bouger.

Ses arguments lui semblaient logiques à cet instant. Par ailleurs, si elle n’avait plus rien dans l’estomac, qu’est-ce qu’il y avait de plus à régurgiter ? Rien. De plus, son équilibre semblait se porter un peu mieux… Ou c’était juste parce que sans s’en rendre compte elle s’était adossée au mur ? Sûrement un peu des deux.

– On est où ? On est arrivé ?

Question stupide, mais réellement importante. Une urgence criait quelque part dans son esprit. Si ce n’était pas le cas, elle devait faire quelque chose… mais quoi ? Rory se frotta les yeux, sentant un mal de crâne commencer une lente incursion.

– Et désolée pour ça.

Dit-elle d’un geste nonchalant englobant toute la situation. Étrangement, elle désignait plus la situation d’aide que le vomi. Ce dernier restait encore sur la première impression : son interlocutrice n’aurait pas dû la pousser ou être là… ou… peu importe.