Les effets secondaires de la cryo et les mauvaises nouvelles au réveil… Ce début de mission est quand même bien entacher de poisse. Hors de question que la suite suive la même veine !
En tout cas tout ce qui relève de ma responsabilité doit être impeccable.

Même si je suis un peu frustré de ne pas avoir été envoyé sur la première sortie, je dois bien reconnaître que ça m’a permit de bien me remettre des nausées et autres joyeusetés du réveil de stase. Maintenant que je suis tout pimpant, j’ai les fourmis dans les jambes et j’ai hâte de faire mes premiers pas dehors. Parce que même si toutes les navettes ne se ressemblent pas, ça reste des navettes spatiales… Moi je suis un gars de l’extérieur, de missions de terrain. Tourner en rond dans les lieux de vie d’un vaisseau très peu pour moi !

Je ne cache pas mon impatience de participer à l’exploration de cette caverne. Bien que je ne comprenne pas bien pourquoi aucun gradé n’a été envoyé avec nous pour superviser cette exploration, je me suis bien gardé de mettre mon nez dans les décisions des chefs d’équipe. Je me dis qu’ils ont probablement d’autres chats à fouetter avec cette histoire de mauvais lieu d’atterrissage. Ils ont peut être aussi jugé que les découvertes que l’on pourrait faire ne nécessitent pas leur présence. Peu importe, on devrait largement s’en sortir avec Orwell ! Ce que j’ai appris de son dossier c’est que ses états de service sont impeccables et que tous la décrivent comme un élément fiable.

Comme je pense à la jeune femme, j’entends justement des pas dans mon dos. Un petit coup d’œil me confirme qu’il s’agit bien de la rousse.
« Tu tombes bien, Orwell ! J’attaquais justement les vérifications de sécurité sur les équipements qu’on va emmener avec nous. Avec tout ce qui se passe déjà, je préférerais que tout se passe tranquillou pendant cette sortie… Tu veux bien t’occuper des pistolets pendant que je fais le robot ? »

Avec un franc sourire, je lui tends la main :
« Au fait moi c’est Liam du Preez, on s’est vaguement aperçu au briefing mais on n’a pas été officiellement présenté. »

« T’as peur de ne plus savoir faire les vérifications sur les flingues ? En vérité on doit se valoir, moi je suis surtout expert en fusil à lunette. »
Je souris à son trait d’humour tout en jetant un coup œil appuyé sur son matériel.
« Sympa les poings américains. Ils font un truc particulier en plus de renforcer tes coups ? J’ai jamais aimé me servir de ces trucs, c’est pas la prise en main que je préfère… Par contre l’épée, ça c’est classe ! J’ai hâte de te voir en action avec ça ! »

Elle enchaîne en se présentant. Même si je savais déjà à qui j’ai affaire, j’apprécie le côté formel de cette présentation toute militaire. Et évidemment je me dois de casser la rigidité de l’instant.
« L’impératrice ! » Je siffle d’un air faussement moqueur. « Rien que ça ! Ça rigole pas par chez toi… »
Et puis tout d’un coup je percute. Si je suis toujours un peu lent c’est que je réfléchis pas beaucoup avant de parler… « Ah mais attend, princesse Sissi, l’impératrice... Bien sûr ! »
À force de faire et refaire des remake de son histoire tout le monde a entendu au moins une fois parler de Sissi, l’impératrice d’Autriche et je ne fais pas exception malgré mon peu d’intérêt pour la royauté en général.
« Et bien enchanté, princesse. » dis-je avec un sourire facétieux et une mimique de courbette. « Si on s’échange nos petits noms, moi c’est Oog. »

Tout en discutant, je m’affaire autour du robot militaire. Il ne doit pas nous faire défaut vu qu’on n’est déjà pas nombreux pour gérer le côté sécurité de cette sortie. Je commence par vérifier toutes les articulations une à une. Je ne saurais pas vraiment y remédier si jamais l’une d’elle venait à ne pas fonctionner correctement. Mais hors de question de laisser ce détail m’arrêter dans mon inspection. Je dois me hisser sur la pointe des pieds pour le contrôle des épaules et de la tête ce qui rend l’opération un peu plus ardue, mais ça ne m’empêche pas de réagir aux interrogations de ma collègue.
« Tu sais j’ai pas plus ma place dans une grotte que toi sur un toit à 1km de l’action… Faut pas chercher à comprendre. Avec les chefs je m’étonne plus de rien. Ils ont d’autres considérations que nous, la piétaille, on ne doit pas comprendre. »
Oui je sais, commencer une relation avec une collègue militaire en critiquant ouvertement la hiérarchie, ce n’est pas très prudent. Ni même très intelligent… Mais au moins les choses sont claires dès le début et je préfère ça. Si dans le feu de l’action, je dois être obligé de faire attention ou me rappeler les demi-vérités que j’ai dites, je risque de perdre ma concentration. Et ça, ce n’est bon pour personne.

« Je ne doute pas que tu trouveras ton utilité sur ce caillou ! On n’est qu’au tout début de notre mission et on n’a encore rien vu de ce qui nous attend ici. »
J’enchaîne vaguement tendu. Je n’aime guère les doutes chez mes partenaires de sortie. Bien trop souvent ça entrave le jugement…
« De postuler ? Pour Diasosi ? Ou carrément à l’ODS ? C’est parce que c’est ta première sortie dans l’espace ? Faut pas s’en faire c’est toujours déstabilisant la première fois. Le mal de l’espace qu’ils appellent ça… »

« Ah ouais ? Les poings attirent ta préférence. Définitivement on joue pas dans la même cour. Moi j’ai toujours préféré pas trop m’approcher d’où ma spécialisation en sniper. »
Sa remarque sur le fait que son corps soit son arme me fait inconsciemment la regarder plus en détails. Effectivement l’impératrice semble être parfaitement affûté. Dans ce cas autant jouer avec ses atouts.

« Oog c’est de l’afrikaner, ça veut dire œil. Je suis originaire d’Afrique du Sud et tu constates que là bas non plus, on n’est pas très original avec les noms de code. Œil pour l’expert en snipe c’est pas ce qu’il y a de plus surprenant. »
J’ajoute avec un clin d’œil que je veux complice :
« Mais j’avoue que l’impératrice ça en jette ! J’ai hâte de te voir en action pour savoir si tu es à la hauteur du surnom. »

Quand j’aborde les décisions des gradés, la réponse plutôt laconique de ma comparse, me coupe dans mon élan. Ok, la rousse n’est pas la personne avec qui se confier des soucis de hiérarchie. Au moins les choses sont bien claires dès le départ. Et j’avoue que c’est avec un léger soulagement que je constate qu’elle n’a pas l’air de me tenir rigueur de mes propos… déplacés. Je note pour moi même de ne pas tenter le diable et de ne plus revenir sur ce sujet.

« Franchement, fuir l’ennui, c’est une raison qui en vaut largement une autre. La découverte de nouveaux horizons, quoi de mieux comme distraction ! »
Je ne doute pas que la jeune femme va rapidement prendre toute l’importance de sa présence ici. Et balayer tous ses soucis sous le tapis. Pour un temps au moins.
Pour moi l’espace a toujours été une source de plaisir. Un passe-temps qui me rapprochait de ma mère et qui me faisait voyager dans le fond de mon lit quand j’imaginais des mondes à explorer. C’est avec une fierté assez mal dissimulée que j’annonce :
« J’ai déjà quelques missions d’exploration sur planètes inconnues à mon actif, donc c’est pas très surprenant qu’il m’ait affecté à celle-ci. Même si elle est un peu plus délicate que ce que j’ai déjà vécu. Je suis même pas sûr qu’il ait eu des problèmes similaires sur d’autres colonies. »
Je retiens une blague plutôt déplacé qui nous place comme les héros de ce qui pourrait être une funèbre entreprise. Mon intuition me dit que Sithmaith n’est peut être pas le public de mon humour douteux.
« Mais mon embauche à l’ODS par contre, part d’une histoire toute mignonette. Comme je suis né l’année où les premières colonies hors système solaire ont été implantées et que ma mère est une insatiable romantique, je suis rapidement devenu son étoile. Du coup je me suis toujours beaucoup intéressé à l’astronomie. Et l’embauche pour explorer des planètes extra terrestre coule de source. »

Ces souvenirs plaquent un sourire sur mon visage et je me tais un instant tout en continuant ma besogne autour du robot. Tiens cette diode clignote, elle faisait ça avant ? C’est normal ? Avant que j’ai eu le temps de pousser plus avant, la voix métallique du robot retentit me faisant légèrement sursauter :
« Initiation de la procédure d’entraînement de visée amorcée. Démarrage dans 5 minutes. Quelle est la cible d’exercice ? »
« Euh… Merde ! C’était pas prévu ça. C’est pas normal. T’as déjà eu affaire à ça, toi ? Une idée pour désamorcer avant qu’il tire partout ? »
Tout en me reconcentrant pour ne pas perdre mes moyens, je réfléchis à toute vitesse tentant de me rappeler le manuel que j’ai lu hier. Et je commence bêtement à toucher un peu à tout dans l’espoir d’arrêter la bête.

« Même si j’adorerais te voir tout de suite mettre ton talent à l’épreuve, je crois qu’il serait plus judicieux de reporter… »
J’enchaîne avec des tentatives de commandes vocales :
« Procédure annulée ! Invalidation de l’entraînement ! Cessation de l’initiation ! »
Évidement cette suite incongrue de synonymes ne mène à aucun résultat concluant.
« Et merde, si on trouve pas une solution dans les 2 minutes, peut-être qu’on n’aura pas d’autre choix que d’avoir recours à toi finalement. »
Je réfléchi à toute vitesse, bien que légèrement perturber par le stress ma bonne mémoire ne doit pas me faire défaut. Pas maintenant…
« Démarrage de la procédure dans 1 minute. Quelle est la cible ? »
Et soudain c’est l’illumination !
« Procédure d’entraînement en balles à blanc ! Cible : 1 mètre de la porte 4 ! »
« Entraînement balles à blanc. Cible verrouillée. »
Je serre quand même inconsciemment les fesses pendant que le robot tire en espérant qu’il ne va pas exploser la paroi malgré tout. Les fausses manipulations sont vite arrivées de toute évidence et le changement de balles pourrait ne pas marcher. Heureusement le résultat donne tort à la probabilité de raté : la porte et la paroi n’ont pas une trace et le robot repasse en mode veille.
« C’était moins une... Mais merci pour ton calme olympien, même si un peu d’agitation aurait été sympa... Pour me faire sentir moins seul au moins. »
J’esquisse un sourire, mais personne ne s’y trompera, il est diablement crispé. Il serait de bon ton pour au moins tenter de faire bonne figure et dissiper le léger malaise d’enchaîner sur d’autres sujets. Heureusement j’ai pléthore d’anecdotes dans mon sac.
« Ça me rappelle une histoire qui date de la mission d’exploration sur Ganède 3. On avait encore les anciennes versions de robot militaire et celui qui nous accompagnait n’avait rien trouvé de mieux que de lancer sa mise à jour en pleine sortie. Le sergent avait balancé tout ce qu’il savait des commandes vocales pour tenter de le réveiller sans succès. Mais quand la machine a fini son schmilblick, elle a lancé tous les ordres accumulées pendant sa veille. Ça avait été un beau n’importe quoi, je te raconte pas ! Je me demande ce qu’il est advenu du Sergent Roberts après ça... Tu dois en avoir toi aussi des bonnes histoires avec la série de missions auxquelles tu as participé ? »

Je reviens à mon job en lançant un coup d’œil au robot. Même si le check-up nécessite encore quelques ajustements, je crois qu’il est beaucoup plus sage que je m’arrête là. Je recule prudemment sans quitter le robot des yeux, comme si me détourner pouvait être un ordre de tirer à nouveau.
« Mais bon je crois que la vérification est finie : il communique, il obéit aux ordres et tire sans problème. »

Je rejoins Sithmaith et ses flingues sans y toucher pour autant, j’ai eu ma dose d’adrénaline pré-mission. Je vais garder le reste pour l’exploration de l’inconnu.
« Du coup j’ai perdu le fil, qu’est ce qu’on disait ? Ah si ! Tu en étais à me raconter ton embauche à l’ODS après avoir entendu ma mignonne petite histoire. De princesse tu as voulu devenir reine d’une planète inconnue ? »
A noter que mon humour ne s’améliore pas après la tension. Il ne s’améliore jamais en fait.