Les réveils c'était jamais glorieux en ce qui concernait Mike, et ceux impliquant la cryostase étaient forcément pires. Ça avait beau ne pas être la première fois, Mike ne s'y ferait jamais. Il se réveilla longtemps avant d'oser ouvrir les yeux, le cœur au bord des lèvres. Il frissonnait et brûlait à la fois, son corps ne comprenant pas comment réagir à une température désormais optimale pour lui. La nausée le prit, qu'il calma en restant absolument immobile. Il inspira plusieurs fois, profondément, avant de laisser ses paupières s'ouvrir sur les grandes billes noires qu'il avait dessous.

Mike ne vit pas grand-chose au début. L'éclairage l'aveuglait, et il sentit son iris se contracter violemment sous l'effet de la luminosité. Ce n'était pas une sensation vraiment douloureuse, mais il y a des choses qu'on n'est pas censé ressentir, et les iris en font partie. Ses yeux secs s'humidifièrent, à la fois sous la pression des émotions et de ses cornées mises à mal : désorienté, il regarda autour de lui pour voir si d'autres galéraient autant que lui.

Ayant bien conscience de ses vertiges, il tourna très lentement la tête, jusqu'à voir s'approcher de lui un homme qui ne lui avait sûrement jamais adressé la parole avant cela. Mike était un géologue discret, ce qui le rangeait au rang de meuble ou de pot de fleur dans une mission telle que celle-ci. Il ne refusa pourtant pas la main. Il était réservé, pas ingrat ni même misanthrope.

Il essaya de répondre à Liam qui venait de se présenter, mais il aurait dû attendre avant d'essayer de faire deux choses à la fois : il glissa et manqua de tomber. Heureusement pour lui que Liam lui avait déjà pris la main, et qu'il se retint de l'autre côté à son caisson. Ses jambes étaient faibles, et il aurait sûrement besoin de s'asseoir un peu.

— Merci pour ton aide...

Mike réussit à prononcer ces quelques mots en souriant d'un air gêné, après s'être stabilisé.

— Michael, mais tu peux m'appeler Mike ou Dr Cailloux. Je suis géologue.

Sa diction était lente, rendue hachée et difficile à suivre par sa propre respiration irrégulière, raison pour laquelle il s'évertuait à articuler. Il se fit la remarque qu'il ne devait pas être beau à voir, mais ça c'était comme tous les réveils, finalement, non ?

La tête là où il faut pas, clairement : Mike accueillit la plaisanterie de Liam avec un sourire, un petit rire même, qu'il regretta instantanément. Il sentit un haut-le-cœur le traverser, et le contint sans trop savoir comment. Assis, il essaya de reprendre contenance tout en donnant le change à Liam à propos de son surnom.

— Ah ah, oui. Je l'aime bien aussi, je dois dire. On finit par s'habituer !

Liam avait beau s'excuser et s'auto-flageller d'être un "gros beauf sans finesse", Mike n'était pas de cet avis. Il était un peu tôt pour qu'il puisse dresser un portrait psychologique de son interlocuteur, d'autant plus que son esprit pataugeait encore dans la brume, mais la première impression que lui avait laissée Liam n'était pas celle qu'il semblait croire. Mike secoua doucement la tête.

— Je trouve pas que tu sois un boulet, détends-toi... Tous les militaires sont aussi peu confiants ?

Un nouveau sourire, plus appuyé et plus mutin, étira les lèvres de Mike. C'était de bonne guerre, et s'il commençait déjà à vanner un gars qu'il connaissait depuis dix secondes, c'était plutôt bon signe. Il allait être d'attaque dans peu de temps, à ce train-là !

— Non je regarderais pas, merci ! Et puis c'est pas une compétition, c'est juste plus agréable de pas avoir à gerber... Je vais pas me moquer, sinon c'est toi qui va te mettre à juger les scientifiques, ces connards élitistes et pédants !

Cette fois, Mike se risqua à rire, très doucement, comme s'il était fatigué. Il évitait simplement de trop jouer du diaphragme pour ne pas brusquer un estomac encore fragile. Mais côté cerveau, ça allait de mieux en mieux, comme si tout s'éclairait sous l'impulsion d'ampoules (très) basse consommation.

— Je fais un peu de terrain et de labo, j'aime pas me cantonner à l'un ou l'autre, à vrai dire. Après, je suis pas le plus téméraire de l'équipage... Si y a un truc chelou dehors, je serais sûrement le premier à vouloir rentrer.

Le verbe "vouloir" était important : il était hors de question pour Michael Tabrizi de déserter. Mais il était clair qu'il n'était pas non plus le plus courageux de la bande. Il estimait que c'était tout à son honneur de le reconnaître, au moins pour essayer de travailler dessus à l'avenir.

Oog ? C'était un peu bizarre comme surnom, et Mike ne put s'empêcher de laisser sa curiosité parler :

— Mais pourquoi on te surnomme comme ça ? Je veux dire, Dr Cailloux c'est assez parlant pour le coup...

Comme lui d'ailleurs, qui se mettait à papoter sans aucune retenue. Bon, ça n'avait pas l'air de gêner Oog non plus, puisqu'il parlait presque autant. C'était plutôt agréable, surtout venant d'un militaire, dont la présence aurait pu rendre Mike un peu nerveux. Il rit aux plaisanteries de Liam, notamment celle où il disait se bonifier avec le temps.

— C'est Vin ou Rosé qu'on aurait dû te donner comme surnom alors !

Le cerveau encore un peu dans les choux de Michael lui envoya le magnifique surnom de 'Ginger Champagne' mais il n'était pas sûr que ce serait bien accueilli s'il se mettait à appeler Liam ainsi, tout de go. Il préféra garder ça pour lui, et voir si un jour, il pourrait en faire usage.

Alors comme ça Liam était innocent de tout préjugés pourtant répandus sur les blouses blanches ? Michael n'en croyait pas un mot, ce qui le fit beaucoup rire.

— Te moque pas de moi, je sais bien quelle image ont les scientifiques dans ce genre d'expéditions...

Et oui, ils avaient l'air d'adolescentes, et alors ? Mike était prêt à se battre avec le premier qui aurait quelque chose à redire. Ou pas. Liam était plutôt sympa, et son petit laïus protecteur rassura beaucoup Michael et son 'popotin' délicat. Il allait le lui dire quand Liam posa la question qui fâchait.

— Si des théories circulent, je n'en ai pas entendu parler encore. Neuf fois sur dix, ce genre de choses est dû à des avaries de matériel, mais on peut pas être sûr encore.

Après les rires, Michael ne cacha pas son inquiétude. Pour le moment, à part rationnaliser et relativiser, il ne pouvait pas faire grand-chose d'autre de toute façon.